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L'ancien président péruvien Alberto Fujimori.

L’ancien président péruvien Alberto Fujimori. PETER MORGAN / REUTERS

L’ex-dirigeant s’est éteint mercredi des suites d’un cancer. Il avait été libéré en décembre après avoir passé 16 ans en prison, où il purgeait une peine de 25 ans pour crimes contre l’humanité.

Alberto Fujimori est décédé mercredi 11 septembre à Lima d’un cancer de la langue, après avoir purgé 16 années de prison pour crimes contre l’humanité et corruption. Malgré la demande de «pardon» formulée en 2017 par l’ancien homme fort pour les actes commis par son gouvernement, Alberto Fujimori a désuni les Péruviens comme peu d’hommes politiques l’ont fait dans l’histoire du pays. Car dans ce pays andin de 32 millions d’habitants, difficile d’oublier le passage au pouvoir de celui que l’on surnomme «El Chino» (le Chinois).

Pour certains, il est l’homme qui a dopé l’essor économique du pays par ses politiques ultra-libérales, et combattu avec succès les guérillas du Sentier lumineux (maoïste) et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (guévariste). D’autres se souviennent surtout des scandales de corruption et de ses méthodes autoritaires, qui l’ont conduit derrière les barreaux pour avoir commandité deux massacres perpétrés par un escadron de la mort en 1991-1992, dans le cadre de la lutte contre le Sentier lumineux. Qualifié de «dictateur» par ses ennemis, il a écopé d’une peine de 25 ans de prison en 2009 pour crimes contre l’humanité.

Né à Lima le 28 juillet 1938 de parents japonais immigrés, Alberto devient ingénieur agronome puis enseigne les mathématiques. En 1964, il passe une année universitaire à Strasbourg où il apprend le français et, en 1970, obtient un master de mathématiques aux États-Unis. Après son retour à Lima, il est nommé recteur de l’université d’agronomie (1984-1989), puis élu président de la conférence des recteurs d’universités en 1987. En 1990, Alberto Fujimori remporte à la surprise générale l’élection présidentielle face au célèbre écrivain et prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa.

«Agir d’abord, informer ensuite»

Faute de majorité, le 5 avril 1992, avec l’appui des forces armées, il dissout le Parlement et suspend la Constitution. L’année suivante, il fait adopter une nouvelle Loi fondamentale donnant plus de pouvoir au président. Comme à son habitude, il décide dans le plus grand secret, entouré de sa garde rapprochée. Même ses ministres ne sont pas au courant. «Agir d’abord, informer ensuite», aimait-il à répéter. «Pour lui, il n’existait aucun cadre légal, seul comptait sa volonté et celle de ses amis», juge le sociologue Eduardo Toche.

Après sa victoire sur le Sentier lumineux et l’arrestation de son chef Abimael Guzman – décédé en prison le 11 septembre 2021 – le magazine américain Time le nomme en 1993 personnalité sud-américaine de l’année. À la présidentielle de 1995, il est réélu dès le premier tour pour un deuxième mandat de cinq ans en battant l’ancien secrétaire général des Nations unies, Javier Perez de Cuellar. En 1996, le Parlement adopte une loi qui l’autorise à postuler à un troisième mandat. En mai 2000, Alberto Fujimori s’impose à nouveau, mais le Parlement vote sa destitution en novembre pour corruption.

Scénario hollywoodien

L’affaire prend des allures de scénario hollywoodien. Le dirigeant déchu s’enfuit au Japon, pays dont il détient également la nationalité, et démissionne par fax depuis un hôtel de la capitale nippone. Lima passe des années à tenter de convaincre Tokyo de l’extrader, en vain. À l’issue d’une longue bataille judiciaire, c’est finalement le Chili, où il s’était rendu en 2005, qui extrade Fujimori deux ans plus tard.

Il a eu deux garçons et deux filles, dont Keiko, candidate malheureuse à l’élection présidentielle en 2011, 2016 et 2021. Cheffe de l’opposition péruvienne ayant capitalisé sur l’héritage de son père, elle a été rattrapée par un scandale de corruption et a déjà effectué plusieurs mois en détention provisoire. Alberto Fujimori avait choisi Keiko, 19 ans à peine, comme «première dame du pays» après son divorce en 1994 d’avec leur mère Susana Higuchi, ex-épouse devenue virulente critique du régime, décédée en décembre 2021 à 71 ans.

Grâce présidentielle

Durant sa détention dans une cellule particulière au sein d’une caserne de police, l’ancien président a multiplié les allers et retours entre l’hôpital et la prison pour des problèmes de santé récurrents. Un long combat judiciaire a été mené par sa famille et ses avocats pour qu’il ne finisse pas sa vie derrière les barreaux. Mi-mars 2022, une grâce présidentielle accordée la veille de Noël 2017 par le président de l’époque, Pedro Pablo Kuczynski, a été finalement annulée en octobre 2018 par la justice.

Mais le 7 décembre 2023 la Cour constitutionnelle a ordonné la libération immédiate de l’ancien président controversé, rétablissant la grâce accordée en 2017. Il n’a cependant pas été réhabilité pour ses crimes malgré une loi déclarant prescrits les crimes contre l’humanité commis avant 2002 qui aurait dû lui bénéficier comme à des centaines d’autres officiers accusés d’exactions pendant le conflit interne des années 1980 et 1990. Approuvée en août dernier, malgré une résolution de la Cour interaméricaine des droits de l’homme réclamant la suspension du processus législatif, Fujimori est mort avant qu’elle ne s’applique à lui.

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