C’est l’histoire d’un homme de 44 ans, maçon, sans antécédent médical particulier, hospitalisé en médecine interne au centre hospitalier de Polynésie française (Pirae, Tahiti) pour des douleurs musculaires bilatérales. Ces myalgies, qui évoluent depuis une semaine, affectent les quadriceps et les épaules. Ce patient déclare ne consommer aucune drogue illicite, tabac ou alcool.
À l’examen clinique, les médecins notent la présence de myalgies à la pression des masses musculaires des membres supérieurs et inférieurs. Notre homme éprouve des difficultés à s’asseoir, à se mettre debout et même à marcher avec deux béquilles, précisent les auteurs de ce cas clinique publié le 17 juillet 2024 dans La Revue de Médecine Interne. Et d’ajouter que « les déficits musculaires sont évalués à 3/5 aux quadriceps, 3/5 aux adducteurs, 4/5 aux releveurs des pieds. Ce patient a également des difficultés à déboucher une bouteille et à porter ses mains à la bouche ». Il ne présente pas en revanche d’atteinte des muscles supportant le cou.
Le bilan biologique montre en particulier une baisse notable du taux sanguin de potassium : hypokaliémie à 2,7 mmol/L (définie par une concentration sérique du potassium inférieure à 3,5 mmol/L). Il existe également une hypophosphorémie à 0,67 mmol/L (correspond à un phosphate sérique inférieur à 0,81 mmol/L), une élévation du taux des CPK (créatine phosphokinase) à 820 unités internationales par litre (UI/L), très largement supérieur aux valeurs normales chez un homme (38–174 UI/L). Ce taux des CPK évoque une rhabdomyolyse, c’est-à-dire une dégradation du tissu musculaire squelettique qui se manifeste cliniquement par une faiblesse musculaire et des myalgies.
On peut exclure a priori une cause infectieuse chez ce patient n’ayant pas de fièvre et ne présentant pas de syndrome inflammatoire au vu des examens biologiques sanguins. Sachant que des troubles du rythme cardiaque peuvent survenir en cas d’hypokaliémie, les médecins lui font passer un électrocardiogramme (ECG). Mais chez lui, l’hypokaliémie franche ne s’accompagne pas d’anomalies à l’ECG.
C’est, comme souvent, l’interrogatoire du patient qui a permis d’établir le diagnostic, en apportant aux médecins « la solution sur un plateau ».
Importance cruciale de l’interrogatoire
Notre homme reconnait en effet une consommation de plus de trois litres de Coca-Cola par jour depuis plus de deux ans. L’ensemble du tableau clinique et biologique suggère donc une intoxication chronique au Coca-Cola.
Après réhydratation, administration d’une supplémentation en potassium et phosphate et arrêt du Coca-Cola, l’état clinique du patient s’est nettement amélioré avec une récupération ad integrum de sa force musculaire 48 heures après son admission. En d’autres termes, tout est revenu dans l’ordre sur le plan musculaire chez ce patient ayant présenté un déficit moteur induit par une consommation excessive de Coca-Cola.
Frédéric Franconieri et ses collègues internistes soulignent l’importance cruciale de l’interrogatoire et concluent leur article en déclarant que « rien ne sert de faire beaucoup d’examens complémentaires coûteux, irradiants ou invasifs quand le patient nous offre le diagnostic sur un plateau… ».
Des cas rarement rapportés dans la littérature médicale
Les cas d’hypokaliémie sévère induite par une consommation excessive et chronique de Coca-Cola ont rarement été rapportés dans la littérature médicale internationale. Cette intoxication associe généralement une rhabdomyolyse et une hypokaliémie. Le cas rapporté par les médecins polynésiens est inhabituel en ce sens que le patient présentait aussi une baisse de taux sérique de phosphate. Aucun cas clinique dans la littérature ne mentionne l’association d’une hypophosphatémie à une intoxication par un soda.
Le premier cas d’hypokaliémie sévère induite par une consommation excessive de Coca-Cola a été décrit en 1994 par une équipe de gynécologues-obstétriciens japonais chez une femme enceinte de 21 ans, hospitalisée pour fatigue, inconfort, nausées, perte d’appétit et vomissements. Cette femme consommait depuis six ans au moins trois litres d’un cola caféiné par jour. Elle avait connu le même type de symptômes lors d’une première grossesse deux ans auparavant.
Entre 2001 et 2019, plusieurs cas d’hypokaliémie liés à une consommation excessive de cola ont été rapportés dans la littérature par des médecins britanniques, sud-coréens, américains, grecs, turcs et belges, chez des patients présentant des symptômes musculaires et neurologiques plus ou moins sévères.
Hypokaliémie induite par un abus de Coca-Cola zéro®
En 2021, des médecins du CHU de Limoges et du Centre Hospitalier Ouest Réunion (Saint-Paul) ont rapporté un cas d’hypokaliémie symptomatique induite par une consommation excessive de Coca-Cola zéro®. L’histoire concerne une femme de 54 ans, conduite aux urgences pour une altération de l’état général, avec une perte de poids récente de 7 % liée à une malnutrition.
Depuis un mois, cette femme présente une faiblesse généralisée associée à des douleurs des quatre membres qui entraînent progressivement une impossibilité à la marche et des chutes à répétition. L’examen clinique à l’admission confirme la présence d’une tétraparésie, c’est-à-dire d’une paralysie incomplète des quatre membres, associée à une abolition du réflexe à la percussion du tendon d’Achille (au-dessus du talon) et des troubles sensitifs.
Les analyses biologiques sanguines montrent notamment une hypokaliémie sévère à 1,26 mmol/L et une rhabdomyolyse avec CPK à 16 000 UI/L. Les gaz du sang objectivent une hausse du pH sanguin associée à une élévation de la concentration plasmatique de bicarbonates (alcalose métabolique avec un pH à 7,59 et un taux de bicarbonates à 57,6 mmol/L). Les électrocardiogrammes répétés montrent des signes anormaux.
La patiente est alors admise en réanimation et reçoit notamment une supplémentation en potassium. Les troubles métaboliques se normalisent en 72 h, sans que l’on observe de rechute à l’arrêt de l’apport en potassium. Dans le même temps, la patiente récupère de la force motrice.
C’est son interrogatoire qui va permettre d’établir le diagnostic. En effet, elle boit depuis plus de dix ans deux à cinq litres par jour de Coca-cola zéro®. Les troubles qu’elle présente (tétraparésie secondaire à une alcalose hypokaliémique) sont imputables à un abus de consommation de ce soda caféiné sans sucre.
Cette observation clinique montre donc l’intérêt pour les médecins de savoir reconnaître une alcalose hypokaliémique sévère symptomatique induite par une consommation excessive de Coca-Cola classique ou zéro®, dans la mesure où les complications peuvent être graves mais que les troubles sont réversibles après l’arrêt de l’intoxication et correction du trouble hydroélectrolytique.
« Au cours du suivi, la patiente a repris sa consommation excessive et compulsive de Coca-Cola zéro® et la kaliémie a rechuté à 2,8 mmol/L », font remarquer Florence Couillard, Chloé Ayroulet et leurs collègues internistes dans un article paru dans la revue Nutrition Clinique et Métabolisme.
Les mécanismes à l’origine de l’hypokaliémie induite par le Coca
Comme on le sait, le Coca-Cola classique contient de l’eau gazéifiée, des extraits de végétaux, de la caféine, des additifs et du sucre (fructose et glucose). La caféine peut provoquer une hypokaliémie sévère du fait qu’elle entraîne une entrée de potassium dans les cellules. En effet, la caféine agit en stimulant l’activité d’une protéine située sur la membrane externe cellulaire dont l’activité enzymatique utilise l’énergie issue de la dégradation de la molécule énergétique d’ATP en AMP cyclique (AMPc). Plus précisément, la caféine entraîne une élévation du taux intracellulaire d’AMPc qui stimule l’activité de la pompe sodium-potassium (Na+, K+-ATPase), ce qui facilite l’influx de potassium dans le milieu intracellulaire. Par ailleurs, la caféine induit une augmentation de l’excrétion rénale du potassium via une stimulation de production d’une hormone produite par le rein, la rénine.
Quant au fructose ingéré en grandes quantités lors d’une consommation excessive de Coca-cola, l’excès d’apport ne peut être absorbé par l’appareil digestif. De ce fait, un grand volume de fructose demeure dans le côlon, provoquant une diarrhée osmotique, du fait que les solutés solubles non absorbables restent dans le tube digestif et retiennent l’eau.
Enfin, les grandes quantités de glucose contenues dans le soda induisent une production accrue d’insuline. Cet hyperinsulinisme provoque également une redistribution du potassium vers le milieu intracellulaire. Quant au Coca-Cola zéro®, il contient de la caféine et des édulcorants (aspartame, acésulfame potassium) pour remplacer le sucre.
En 2019, des médecins belges ont rapporté dans la revue Louvain Médical le cas d’une patiente de 60 ans admise aux urgences pour une perte totale d’appétit, une fatigue extrême, des diarrhées et crampes abdominales. Cette femme, qui présente une faiblesse généralisée, ne peut plus du tout marcher. Elle est alitée depuis une semaine.
Le bilan sanguin met en évidence une hypokaliémie à 1,44 mmol/L, ainsi qu’une rhabdomyolyse (CPK 6 561 UI/L). L’interrogatoire poussé de la patiente finit par révéler qu’elle boit environ dix litres de cola par jour depuis des années.
Cinq jours après avoir totalement cessé d’en boire, le taux de potassium se normalise et la supplémentation est interrompue. Quelques semaines après sa sortie de l’hôpital, son médecin traitant constate une nette amélioration de son état général et l’absence de diarrhée. La kaliémie est normale, de même que le taux des CPK, sans aucune supplémentation en potassium.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog ‘Le diabète dans tous ses états‘, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 69 billets).
Pour en savoir plus :
Franconieri F, Oehler E, Grémain V. Un diagnostic servi sur un plateau tahitien. Rev Med Interne. 2024 Jul 17:S0248-8663(24)00628-3. doi: 10.1016/j.revmed.2024.05.021
Couillard F, Ayroulet C, Roussin C, et al. Une hypokaliémie symptomatique induite par une consommation excessive de Coca-Cola zéro®. Nutr. Clin. Metab. 2021 Nov;35(4):317-320. doi: 10.1016/j.nupar.2021.04.003
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